L'Illiade constitue la toute première expression de ce tragique grec qui marquera si profondément la conscience de l'Occident, et, à ce titre, peut-être justement considéré comme un poème fondateur. Si les héros y sont en effet le jouet de la fatalité, leur volonté n'en est pas pour autant anéantie, et c'est bien cette contradiction insoluble, inhérente à la condition humaine, qui justifie le profond pathétisme qui anime de bout en bout ce récit de la guerre de Troie. La brutalité, la cruauté parfois extrême dont font preuve ses personnages trouvent en effet leur contrepartie dans la pitié, la compassion, voire la tendresse qu'ils sont tout aussi capables de manifester. Car ces personnages point d'être tout d'une pièce, sont des êtres de chair et de coeur, avec leurs grandeurs et leurs faiblesses : leur profonde humanité rend la lecture de l'Illiade toujours aussi captivante.
La belle traduction de Leconte de l'Isle a l'immense avantage d'être d'une fidélité scrupuleuse à la lettre et à l'esprit du texte grec original, et cela jusque dans ses traits les plus crus que d'autres traducteurs ont jugé bon d'atténuer. Bien qu'écrite en prose, elle en restitue toute la puissance poétique, ce qui ne saurait surprendre de la part de l'auteur des somptueux "Poèmes barbares" !